Du bon père de famille et de la prévention
Les cas d'enfants «élevés» par leurs parents dans des conditions profondément inhumaines sont régulièrement évoqués par les médias. Ce fut le cas, il y a quelques jours. En Seine-Saint-Denis, quatre enfants vivant totalement reclus dans un appartement, ont été découverts. Les deux aînés de 5 et 6 ans savent à peine marcher. En parallèle, nous apprenons aussi fréquemment la participation d'enfants très jeunes à des faits divers délictueux. Il est établi que les enfants délinquants d'aujourd'hui sont plus nombreux, plus violents et de plus en plus jeunes. La remarque revient en boucle dans l'information de sorte que nous n'y accordons pas une forte attention, marquant ainsi la banalisation du sujet. Cette double tendance est cependant très inquiétante en raison de la très grande faiblesse de la pensée préventive qui la commente.
Nous constatons en effet que le droit pénal est toujours immédiatement sollicité. Mais les commentateurs ajoutent généralement aussi vite que les moyens de sa panoplie n'ont pas beaucoup de chances de changer le cours des choses. L'idée que la répression, grâce à la crainte qu'elle inspire, est pourtant un facteur de prévention est bien connue. C'est un classique, parce que fondé sur la raison, mais dont on a beaucoup de mal à établir la portée pratique. Tout d'abord, nous devons comprendre que les menaces de la loi pénale ne peuvent pas avoir de signification auprès de personnes dénuées de responsabilité morale et sociale. Elles ont seulement pour mission de neutraliser par la peur du châtiment, leurs tentations délictuelles et on peut douter qu'elles ont pour effet d'élever leur degré de conscience de leur devoir social, c'est-à-dire de leur responsabilité.
Pendant longtemps la notion de bon père de famille a illustré cette exigence. On entendait par là que le bon père de famille suit avec attention l'éducation de ses enfants en leur apportant bons exemples et conseils de sagesse et de respect des valeurs essentielles de la vie sociale. Mais elle a aujourd'hui vieilli et n'a plus la même force évocatrice. C'est compréhensible dès lors que le père de famille partage aujourd'hui son autorité avec la mère. On parle d'autorité parentale. Cependant, la multiplication des règles d'ordre public et des contrôles administratifs qui vont avec soumettent de plus en plus cette autorité des parents à des autorités tutélaire administratives et judiciaires. De sorte que la notion de bon père de famille ne parle pas aux plus jeunes. Cette évolution qui participe de la tendance généralisée à l'étatisation de la société occidentale et relève d'intentions humanistes renouvelle les données de la question de la responsabilité des parents dans l'éducation de leurs enfants.
Ce n'est cependant pas une loi formelle qui donne mission aux parents d'élever leurs enfants c'est-à-dire de les faire grandir au plan moral et culturel, au niveau le plus haut possible. C'est le droit naturel, si concrètement naturel, d'ailleurs, qu'il anime la vie du monde animal. C'est ce qui permet d'être désorienté lorsque l'humain ne perçoit pas cette donnée fondamentale de son identité. Il nous paraît dès lors vain de croire que les parents défaillants et leurs enfants «sauvages»* comprendront mieux la signification de la sanction pénale. Pour corriger ce phénomène inquiétant, il faudrait être capable d'identifier des facteurs significatifs ce qui est particulièrement difficile, car le lien parent-enfant doit être préservé jusqu'à l'extrême limite. Il ne peut être vu comme le lien du mariage ou celui de l'employeur et de son salarié, dont on sait qu'ils sont rompus avec une aisance surprenante et sans provoquer de réflexion particulière sur leurs conséquences sociales. Du fait de ce lien très obligé, les actions de prévention doivent viser le renforcement du sentiment de la responsabilité sociale et non pas seulement affective des parents à l'égard de leurs enfants. Car la plupart des parents concernés par ces affaires font part de leur amour pour ces enfants qu'ils martyrisent ou qui leur échappent. Et l'on sent bien que l'administration et le juge sont dans la position des sapeurs-pompiers, bien utiles, mais quand l'incendie survient.
Pour répondre à l'inquiétude que doit ressentir toute personne responsable face à ce phénomène, la formule du bon père de famille mériterait, bien que désuète, d'être reprise et expliquée, car elle a une forte et très concrète potentialité éducatrice. Nous lui trouvons même une force de portée générale qui mériterait d'être transposée dans le monde professionnel où le principe de responsabilité est lui aussi bien faiblement compris. Nul doute que si, du chef d'entreprise au dernier embauché, l'idée du bon père de famille était plus familière, la prévention serait plus forte.
*La formule est souvent retenue par les médias.